Université Paris Diderot
Armada Portrait d’Elisabeth Ière, par John Gower (vers 1588, Woburn Abbey) (http://www.luminarium.org/renlit/elizface3.htm)
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Sommaire |
Du latin globus, étymologiquement proche de gleba qui désignait une motte de terre, le globe renvoie tout d’abord à toute masse compacte de forme arrondie. L’acception la plus courante est celle du globe terrestre, à savoir la représentation matérielle de la terre tournant autour d’un axe. Mais le terme peut également désigner un globe céleste, c’est-à-dire une sphère montée sur un axe et sur laquelle une carte du ciel est dessinée. D’autres sens incluent le globe impérial, objet symbolique en forme de boule surmontée d’une croix pour indiquer en Occident le pouvoir du prince défenseur de la foi chrétienne et sanctionné en retour par celle-ci. La forme sphérique du globe est par ailleurs associée à l’œil sans les muscles et le nerf optique qui l’entourent (globe oculaire).
C’est au départ le caractère compact, massif du globe qui le distingue de la sphère, essentiellement perçue comme une surface dont tous les points sont à égale distance (rayon) d’un centre. L’étymologie de la sphère l’associe au grec sphaera désignant une balle, qui est une forme creuse. Un terme proche est orbe, du latin orbis, désignant un cercle ou un disque. Ce terme insiste davantage sur le caractère circulaire et mouvant de l’objet et n’implique donc pas non plus une masse.
Le sens géographique du globe semble être prédominant à la fin du XVIème siècle et au début du XVIIème siècle. Ainsi le dictionnaire italien-anglais de John Florio, A World of Words (1598), donne-t-il à l’entrée « Glóbo » : « a globe. Also a type of the whole world » (fol. 151). Le dictionnaire français-anglais de Randell Cotgrave, A Dictionary of French and English Tongues (1611), gomme partiellement la distinction entre forme pleine et forme creuse en les donnant comme synonymes sous « Globe » : « A Globe ; a round bowle, or ball » (sig. Tt1r). Le dictionnaire unilingue anglais de Henry Cockeram, The English Dictionary (1623) concilie quant à lui les deux sens avec cette définition : « A rounde bowle, or the descriptiõ of the world, made in such a forme » (sig. E7r). En France, le terme n’apparaît ni dans le dictionnaire français-latin de Robert Estienne (1549), ni dans celui de Jean Nicot (1584). Il faut attendre le dictionnaire unilingue de Pierre Richelet, Dictionnaire françois (1680) pour voir apparaître la définition « Corps rond et solide » (p. 374), accompagnée des mentions « globe terrestre » et « globe céleste ».
D’après Strabon (Géographie, II, 5, 10), Cratès de Mallos aurait été le premier à avoir construit un globe terrestre, vers 170 av. J.-C. Mais les globes produits à la Renaissance résultent pour l’essentiel de l’influence de la première traduction latine de la Géographie de Ptolémée (1409). Le plus ancien globe conservé de cette période en Occident est celui de Martin Behaim (Nuremberg, 1492), communément appelé « Erdapfel ». Ce globe, dont la production précède de peu les découvertes colombiennes, ne figure pas l’Amérique. Il est constitué de fuseaux en parchemin collés sur une sphère en carton. Les fuseaux préparés par Martin Waldseemüller pour monter un globe en 1507 sont quant à eux les premiers à porter la mention « America » sur une masse de terre encore partiellement esquissée. Le globe dit « globe vert » conservé à la BNF et attribué à Waldseemüller date de cette période. Il est directement peint sur une sphère de bois. Un autre globe célèbre associé aux grandes découvertes est le globe de Johann Schöner (Nuremberg, 1523), qui tient compte de la circumnavigation de Magellan. Ce globe apparaît posé à l’envers sur une étagère sur la célèbre toile de Hans Holbein, Les Ambassadeurs (1533). A partir de 1541, Gérard Mercator produit les premiers globes où apparaissent des loxodromies, c’est-à-dire des lignes coupant les méridiens sous un angle constant, selon la projection dite de Mercator.
L’usage accru du papier et de la gravure favorise largement la diffusion de globes au XVIème siècle. Les fuseaux imprimés sont alors le plus souvent montés sur une boule de papier mâché recouvert d’un enduit de plâtre. La base de papier mâché est soutenue en son centre par un axe de bois communément appelé « os de mort », car il était généralement fabriqué avec du bois de bateau mort, tandis que sa forme rappelait un fémur. L’usage des matériaux légers facilite la fabrication et permet une diffusion à grande échelle, notamment à destination des écoles de navigation. Mais cette même légèreté des matériaux, synonyme de fragilité, a permis à peu de globes de cette période de parvenir jusqu’à nous.
Aux XVIème et XVIIème siècles, les globes terrestres et célestes sont souvent produits par paires, par des cosmographes qui cumulent le savoir géographique et l’astronomie. Un des grands noms associés à cette double production est celui de Willem (Guillaume) Blaeu, élève hollandais de l’astronome danois Tycho Brahé, qui réalisa son premier globe terrestre en 1598, avant d’établir un atelier d’imprimeur à Amsterdam en 1605, puis de devenir le cartographe fournisseur de la Compagnie des Indes Orientales (1633). Il est également l’auteur du traité Usage des globes et sphères célestes et terrestres (1634). Ses plus grands globes atteignent 68cm de diamètre, comme c’est le cas des deux exemplaires datés de 1622 et conservés à la Bibliothèque-Musée de l’Inguimbertine à Carpentras.
Parmi les paires de globes les plus célèbres jamais produites figurent les globes de Coronelli (également dits globes de Marly) conservés à la BNF. D’un diamètre de 3,87m chacun, ils furent réalisés par Vincenzo Coronelli entre 1681 et 1683, et offerts à Louis XIV en 1704. Le globe céleste montre l’état du ciel le jour de la naissance du roi, le 5 septembre 1638. Ce présent du cardinal d’Estrée au Roi Soleil est un exemple de la jonction que le globe représente comme objet de savoir, de prestige et de pouvoir.
Outre-Manche, l’expérience de la production des globes est incontestablement associée au nom d’Emery Molyneux. Participant au voyage de circumnavigation de Francis Drake (1577-1580) et entretenant des liens étroits avec quelques-uns des plus grands noms en rapport avec les voyages anglais à la fin du XVIème siècle, dont l’explorateur Walter Ralegh, le mathématicien Thomas Harriot et le compilateur Richard Hakluyt, Molyneux était à la pointe des découvertes géographiques anglaises de son temps. Son entreprise de production de globes jouissait en outre d’un investissement colossal de 1000 £ de la part du marchand londonien William Sanderson. Utilisant une pâte à base de farine plutôt que le papier mâché, Molyneux fabriquait des globes qui résistaient à l’humidité et pouvaient de ce fait être utilisés sur les navires. Une paire de globes terrestre et céleste d’un diamètre de 63 cm chacun, réalisée par Molyneux, fut offerte par le marchand Sanderson à Elisabeth Ière en 1592. C’est peut-être sur un de ses globes qu’Elisabeth Ière pose la main sur l’Armada Portrait de George Gower (vers 1588, Woburn Abbey). Seuls six globes réalisés par Molyneux survivent aujourd’hui (trois terrestres et trois célestes). Molyneux émigra en 1596-97 à Amsterdam, grand centre de l’industrie cartographique à la fin du XVIème siècle, et aucune école anglaise de fabrication de globes ne lui survécut.
Objet symbolisant la perfection par sa forme sphérique, le globe est également un objet instable s’il n’est pas tenu par un axe. Cette caractéristique en fait fréquemment un symbole de la vanité et de l’éphémère dans les livres d’emblèmes et les peintures allégoriques de la période baroque. Parmi les nombreux exemples hollandais, on peut citer une allégorie de Karel Dujardin (1663, Statens Museum for Kunst, Copenhague), qui représente la Fortune sous les traits d’un enfant faisant des bulles, en équilibre sur un globe en cristal et voguant sur un coquillage, ou encore Héraclite et Démocrite de Jan van Bijlert (XVIIème siècle, Centraal Museum, Utrecht) qui figure la vanité du débat philosophique à travers les deux personnages adossés à une sphère du monde, l’un pleurant et l’autre riant.